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Interview de Roberta Bianchini

Découvrez l’interview de Roberta Bianchini, mathématicienne. Elle nous parle de sa discipline, de son intérêt pour les mathématiques et de la place des femmes au sein de cette science.

https://www.youtube.com/watch?v=L7NG1Max-aw

Rachel Taillefer, maître de conférences en mathématiques à l’Université Clermont Auvergne, répond à nos questions

Pouvez-vous vous présenter et détailler votre parcours ?

Je suis actuellement enseignante-chercheure (maître de conférences) en mathématiques à l’Université Clermont Auvergne.

J’ai toujours aimé les mathématiques (depuis le primaire) et l’idée d’enseigner. C’est ce qui a orienté mes choix d’études. J’ai toujours été soutenue dans mes choix par mes parents. Au collège-lycée, j’appréciais aussi la physique et surtout la chimie. En Terminale, lorsqu’il a fallu choisir ma poursuite d’études, je n’ai pas souhaité poursuivre en classe préparatoire car j’avais peur de ne pas résister à la pression et, mon objectif étant d’enseigner, je n’en voyais pas l’intérêt. De plus, je croyais (à tort) que je voulais faire de la chimie… il se trouve que la chimie enseignée au lycée ne ressemble pas du tout à la chimie enseignée à l’université, et j’ai trouvé que cette discipline manquait de rigueur et de logique (pour moi). Heureusement, mon enseignant de mathématiques m’a aidée pour que je puisse me ré-orienter vers une filière plus mathématique, en me donnant des exercices plus difficiles et en m’aidant à combler les parties du programme que je n’avais pas traitées. J’ai poursuivi jusqu’en Licence (L3 actuellement) de mathématiques. A ce stade, mon objectif était de devenir enseignante au collège ou au lycée. Mais je ne souhaitais pas arrêter d’apprendre des maths aussi tôt ! J’ai donc continué en Maîtrise (M1) puis en DEA (M2). J’ai ensuite pris un an pour passer l’Agrégation, puis comme je ne voulais toujours pas arrêter de faire des mathématiques, j’ai poursuivi en thèse. Après ma thèse, j’ai fait trois ans de postdoc (un an à Leicester et deux ans à Oxford, au Royaume-Uni), ce qui m’a permis de découvrir la recherche en collaboration; j’ai fait des rencontres marquantes, avec des chercheuses et des chercheurs dont j’apprécie les mathématiques mais surtout les qualités humaines, et qui ont orienté ma recherche. J’ai ensuite obtenu un poste de maître de conférences à l’Université Jean Monnet (Saint-Etienne) en 2004 et, suite à un échange de postes pour raisons personnelles (les mutations étant très difficiles), à Clermont-Ferrand en 2010 (Université Blaise Pascal puis Université Clermont Auvergne).


Expliquez-nous rapidement sur quoi vous travaillez actuellement et en quoi cela consiste. 

Je travaille en algèbre, plus précisément en algèbre homologique et en théorie des représentations. Etant donnée une structure algébrique (un ensemble muni de lois qui vérifient certains axiomes), pour mieux la comprendre on lui associe des représentations, une sorte de trace sur de nombreux autres ensembles. Ensuite, pour comparer deux telles structures algébriques, on peut comparer leurs représentations. Pour faciliter ou affiner cette comparaison, on peut introduire des « invariants », c’est-à-dire des objets associés à ces structures (cela peut-être un nombre, un polynôme ou autre) qui, si les structures (ou leurs représentations) se « ressemblent », prennent la même valeur, et qui peuvent parfois aussi, pour les plus complexes, aider dans l’étude des représentations. Ces objets peuvent être plus ou moins difficiles à déterminer. Parmi eux, il en est qui s’appellent « cohomologie », j’étudie une cohomologie en particulier. Elle est difficile à calculer en général, mais de gros progrès ont été réalisés ces dernières décennies. 


Savez-vous d’où vous est venu cet intérêt pour les sciences et pour cette discipline particulière ?

Pas vraiment, j’ai toujours aimé les mathématiques. Quand j’étais enfant, on m’offrait des livres d’exercices de mathématiques à faire pour mes loisirs, j’adorais cela. J’apprécie la rigueur, la logique et aussi l’abstraction et l’ordre dans les mathématiques et en particulier dans l’algèbre, mais j’aime aussi le défi de résoudre un problème, de trouver la solution la plus « belle » possible. 


Avez-vous été encouragée à réaliser ce parcours ou vous a-t-on plutôt freiné ?

J’ai toujours été encouragée dans mon parcours, par mes parents (pour qui mes études étaient une priorité) et par mes enseignants.


Quels défis avez-vous dû relever en tant que femme scientifique ? Quels obstacles avez-vous rencontré ? 

Je n’ai pas le sentiment que le fait d’être une femme ait été un obstacle pour moi. Il me semble que j’ai toujours été appréciée (ou non !) pour mon travail.


Avez-vous dû vous contraindre à l’auto-censure ?

Je ne pense pas.


Combien de femmes travaillent à vos côtés ? 

Très (trop) peu ! Dans mon laboratoire, parmi les membres permanents, nous sommes 10 sur environ 57, dont une seule au niveau professeure. Et ce n’est pas faute d’avoir de nombreux collègues qui sont sensibles au problème du manque de femmes dans notre discipline, mais entre le peu de femmes candidates et le manque de postes sur lesquels les recruter, il est difficile d’y remédier.


Y a-t-il une chose, positive ou négative, que l’on vous ait dite et qui vous ait marquée sur le fait que vous étiez une femme en sciences ?

Je n’ai pas eu de remarques personnelles il me semble. Mais le fait qu’il y ait si peu de femmes implique que, globalement, nous sommes très sollicitées pour faire partie de comités, de conseils, de missions, pour respecter la parité. Cela demande bien sûr des efforts supplémentaires, qui peuvent parfois être excessifs (en particulier pour les femmes qui sont dans des domaines très demandés ou des universités bien placées géographiquement), mais cela m’a aussi permis d’avoir des opportunités que je n’aurais pas toutes eues sans ces contraintes de parité. 


Selon vous, qu’est-ce qui est à l’origine de cette situation déséquilibrée entre hommes et femmes ?

Je ne sais pas exactement. Il faut remonter assez loin, ce n’est plus au niveau du recrutement que se situe le problème à mon avis (depuis quelques années, dans mon expérience, à dossiers équivalents, une femme est souvent prioritaire sur un homme dans mon domaine), car il manque déjà de candidates. Peut-être qu’il faut du temps avant que les effets de cette nouvelle mentalité face aux recrutements se fassent sentir. Mais la proportion d’étudiantes en master de mathématiques me paraît déjà très faible en général, et même en licence il y a moins de femmes. Les stéréotypes sur les activités et métiers plutôt féminins ou plutôt masculins sont très ancrés dans nos subconscients je pense. 

D’autre part, la carrière des femmes qui ont des enfants est également ralentie ; cela peut limiter l’avancement de leur carrière. 

Enfin, le milieu social joue un rôle important je pense, au sens où ces stéréotypes de genre sont peut-être plus marqués dans certaines classes sociales. 


Comment pourrions-nous faire évoluer cette situation ?

Il faut commencer avec les enfants très jeunes, essayer de faire évoluer les mentalités ; l’éducation, l’école jouent un rôle essentiel. Il faut également encourager spécifiquement les femmes à suivre leurs préférences en termes de disciplines, de métiers, et plus tard de missions, d’avancement de carrière ; il ne faut pas s’attendre à ce que quelque chose qui est proposé à tous attirera nécessairement autant de femmes que de d’hommes (ou le contraire, suivant les domaines !). 


Avez-vous un message pour les jeunes filles scientifiques ou celles qui hésiteraient à se lancer dans un tel cursus ?

Il faut poursuivre ses rêves ! Il vaut mieux prendre le risque d’échouer en faisant ce qui nous plaît que de regretter de ne pas l’avoir fait quand il est trop tard. D’ailleurs la culture américaine valorise l’échec, car il nous apprend toujours quelque chose et améliore nos capacités d’adaptation, donc cela vaut la peine de le tenter !

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